L'instant s'échappa… le passé glissa vers l'oubli et ma mémoire tomba dans des débris de rêves… j'étais endormi.
Tout s'endormait avec moi, comme à chaque nuit. J'étais enfin fort et infaillible, enfin doté de cette puissance passagère que l'inconscient feint d'offrir à l'intériorité lorsqu'il la domine; alors on pense s'emparer du don comme d'une providence, mais lui nous contrôle dans un inconnu qui nous échappe. Je m'abandonnais dans ce reflet hybride et trompeur, avec calme et sérénité, et, enivré dans l'irréel, je tendais la main vers autre chose. Sauf que cette main ne se tendait que dans un mirage, comme le reste. Et cette "autre chose" n'existait pas, pas plus que le monde qui l'entourait. Le temps et l'espace étaient virtuels, les gens se mouvaient en marionnettes du sommeil, au fin fond de l'âme prisonnière de son propre mensonge. Une longue contrée imprévisible qui transformait ses illusions au gré de l'impartial défilement des heures.
Mais pour une fois au moins, j'étais fort et la vie semblait se mouvoir dans le sens des plus profonds de mes désirs.
(Le corps se retourne dans ses draps; au cœur du rêve, le temps paraît libre et inconstant, mais il écoule sa nuit en continu dans la chambre muette)
Au-dedans de l'âme, les aléas indéchiffrables me menaient encore comme un guide imposé par la fatigue. … tout était faux… ces doux moments résonnaient sans cesse, des promesses pleuvaient abondamment dans ce pauvre cœur, victime malgré lui de joies déjà prêtes à le fuir, avant que l'aube illusoire ne les écarte de sa clémence paradoxale…
Tout était faux.
Mais que faire quand la foi en le réel est perdue?
(Le corps se retourne dans ses draps; au-dedans du rêve, le cœur se remplit injustement d'un bonheur déjà fuyant, et le temps défile et épaissit son voile de mensonges au creux de l'âme… pourtant, l'aurore est en approche. Par les interstices du volet, des rayons s'apprêtent à agresser le corps soulagé… pour un temps)
Les images devenaient flous, le son des rues me provoquait: le premier assaut du réveil était déjà lancé. Le mensonge était si court et tellement saccadé, sans place pour le profit. On croit au bonheur de l'inconscient, et on ne réalise que l'on y a cru que lorsqu'il nous a quittés.
…
J'ouvris les yeux.
…
Tout était faux.