Des phrases simples clarifient le sens de mes mots. Et des phrases complexes rythment mes idées, à travers une multitude de verbes, et des participes présents pour figer ma douleur dans mon espace. Et des phrases nominales comme ces maux dans ma mémoire. Et l'encre pour remonter à l'envers de la chute, et la retranscrire. Et toujours la même conjonction de coordination à la base du cri: ce juste lien entre mes plaies.
Puis le silence. Le vide. La dérive de l'homme qui voudrait s'oublier lui-même. Moi. Et des souffles et des murmures. La présence à peine ressentie de ceux qui ne sont déjà plus, les invisibles m'offrant l'espérance. Mais je n'arrive pas à tendre les doigts.
Car mon âme, figée dans le fauteuil en métal de la vie terrestre, voit, hébétée, la justice impartiale du monde, son sang coulant sur son socle de fer: nos corps épuisés d'exister. Toujours ce hurlement. L'appel à la libération et la peur, l'attente de l'atterrissage.
Moi. Aujourd'hui.
Et la nécessité ressentie d'un point final avant le renoncement, avant l'oubli.
Et mes souvenirs pleurant sur une quantité de pages. Mon passé, cette pente descendant jusqu'à mon présent. Des jours, des semaines et des mois au fil des lignes. Et des lignes et des lignes: des lambeaux d'amertume mêlées au papier. La trace écrite de ce qui est derrière, à jamais derrière. Ma mémoire s'ouvrant aux autres, rien que les autres, et l'invitation susurrée à leur bonheur. Un lac hurlant à l'attention de la mer, belle et immense. Un vain plongeon dans l'océan.
Mon histoire.
Pourquoi rédiger ici mes pensées, mes souvenirs, mes maux? Après quoi suis-je en train d'hurler? La mer ne veut pas m'accueillir dans ces profondeurs. Le monde ici bas ne semble pas être le mien. Alors, quel est mon monde? Et qui suis-je?
Je suis un ange sauvage exilé d'un paradis où il n'a jamais vécu, hormis dans ces idéaux. Je suis une plaie béante où se déverse la folie du monde. Je suis un outrage fait à leur conception de la normalité et du bonheur. Je suis une différence proclamée au nom de l'envie d'être ailleurs. Je suis un cri de rage, une force intériorisée dans la déraison. Je suis la peur d'un lendemain sans destination, ni but. Je suis l'usure de l'esprit, et la volonté et la crainte de sa séparation avec le corps.
Je suis autre.
Je me souviens l'enfance. La mienne, ou celle de cet enfant étranger à ce qu'il était lui-même destiné à devenir; cette petite tranche de bonheur laissée derrière. Bien trop loin du présent. Je me souviens de ses sourires, d'un regard ivre de découvertes, d'un petit coeur qui courait aux bras de l'amour familial, et d'un éclat non retenu. Des jeux insouciants, mais beaux de liberté. Des interrogations maladroites ouvertement explicitées, de l'innocence de celui qui apprend en vue d'étendre ses ailes.
L'enfant avait des amis. Il était heureux et il savait jouir de l'essentiel.
Le temps l'a brisé et il s'est effondré en moi.
Ma mélancolie: le retour de ces matins imparfaits où, au sortir des rêves d'avant, une larme tombe dans l'impossible.