Chère maman,
Les médecins m’ont renvoyé à la maison. Enfin, pourrais-je dire après tous ces mois passés dans leur drôle de service. Mais je ne suis pas certain que ceci augure de jours meilleurs.
Faut savoir que Martha a pris connaissance du contenu de l’ordonnance qu’ils m’ont remise à ma sortie… Et depuis je suis inquiet.
Arrive en tête sur la liste : l’acquisition d’un fort stock de cierges de différents diamètres et calibres à ne brûler qu’après la tenue de quelques messes en la basilique voisine. Viennent ensuite et dans un ordre mal défini l’achat de diverses amulettes : fers à cheval, pattes de lapin, grigris africains et autres talismans destinés à m’entourer et à couvrir les murs de ma chambre. Pour parfaire ce chef-d’œuvre d’incohérence médicale, dixit Martha, ils me conseillent en dernier recours l’apposition des mains sur une bosse de distordu deux fois par semaine, en alternance avec la palpation d’un pompon de béret vissé à une tête de mousse.
Mais tu sais je ne désespère pas et je continue de lutter contre la maladie. Ainsi je t’écris avec ce bras qui commençait déjà à repousser lors de ta dernière visite.
Ce serait assez difficile de t’expliquer la chose mais je recommence aussi à me déplacer. Paraîtrait, selon le fils des voisins, que j’avance par vagues successives : un peu comme une nappe de pétrole en vue des côtes bretonnes.
Mais il y a une bonne nouvelle : depuis mes récents progrès, Martha ne parle plus de me vendre à un cirque… Peut-être m’aime-t-elle toujours un peu.
Comme tu peux le voir, maman, je vais mieux. Alors s’il te plaît arrête avec tes tentatives de suicide.
La dernière, celle où tu as sauté du 5ème, est encore dans toutes les mémoires. Après t’être précipitée sous le train, avoir avalé 3 kilos de clous rouillés et t’être enfermée dans la maison avec le dernier Florent Pagny hurlant à tue-tête dans le poste, je pense pouvoir dire que tu as fait le tour du problème.
Alors tiens encore le coup, maman, je reviendrai bientôt à la ferme. Fais ça pour moi.
Igor, ton fils qui t’aime.
Tchernobyl, le o6 août.