Délires et propos sensés
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 Les ponts sont des passages (2/2)

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2 participants
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Hématome
Bavard
Hématome


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MessageSujet: Les ponts sont des passages (2/2)   Les ponts sont des passages (2/2) EmptyLun 5 Nov - 5:52

Affaibli et éberlué, je me retournai dans un geste brusque, et là… et là, ho mon dieu!
Il n'y avait plus de pont!!!

Il n'y avait même plus de vide, plus de ciel mort, plus d'horizon à chercher, mais Ho mon dieu! comme j'aurais préféré dire qu'il n'y avait plus rien!
Des milliers, des millions, des milliards d'images mouvantes se superposaient dans ce qui avait du être le paysage, des images qui appartenaient à mon passé, et qui couraient sous mes pieds, devant moi, au dessus, partout!!! Je me revis avec tous mes amis, je me découvris bébé dans les bras de ma mère, je voyais tout… absolument tout! Je me retournai à nouveau dans un mouvement précipité, et le pont réapparut, ainsi que son ciel, et que son prolongement sans fin. Je me frottai les yeux tout en sachant que c'était inutile, mais cette fois, le paysage avait effectivement repris son aspect initial. Puis, hors de contrôle, je regardai encore dans l'autre sens, et ces visions de ma vie passée ressurgirent aussitôt, et dans mon désespoir je fis de cette façon quelques tours sur moi-même en un cercle ahuri, en constatant toujours la même métamorphose de l'environnement. Le regard dirigé vers un côté me posait sur le pont, et les yeux tournés dans la direction opposée m'intégraient à toutes ces projections de scènes qui avaient fait mon existence sur Terre.
Et moi, j'étais là, au centre de ce que j'avais quitté, en plein cœur de ce grand tout. Je restais stable, mes pieds étaient parfaitement horizontaux, et si mes yeux ne m'avaient pas dit le contraire, j'aurais pensé me situer debout et ne pas avoir quitté le sol. Mais sous mes pieds, il n'y avait pourtant qu'une projection de mon premier jour d'école.
L'enfant était beau à l'époque, et ce qu'il restait de ma raison dut me persuader qu'il ne me dévisageait pas, sans quoi je n'aurais jamais osé relever les yeux vers l'homme qui se tenait face à moi.
Il était grand, mince – un gars banal qui semblait avoir la trentaine, vêtu d'un costume noir assorti d'une sombre cravate – et il me souriait. Que faisait-il ici?? Il était tellement étranger à ces alentours qui représentaient ma vie, mais pourtant il se dressait là, droit et les mains dans le dos, le visage moqueur.
L'inconnu me fixait quand, le rire aux lèvres, il réajusta le col de sa veste en me disant: "t'as vu? Je me suis fait beau pour l'occasion".
Malgré la frayeur qu'il m'inspirait, je ne relevai pas cette nouvelle moquerie; je ne voyais que ces images, cette projection de mon histoire. J'étais happé par tant de moment: mon premier baiser, mon premier rire, ma première voiture, et tellement d'autres éclats de bonheur. Debout au cœur de ce ravin mouvant, je crus devenir fou.
L'étranger, la mine narquoise, s'approcha de moi – je ne trouvai pas le courage de reculer – et il me prit l'épaule avec une délicatesse inattendue. Ainsi, il se tint à côté de moi en observant mon ancien univers en ma compagnie. Puis il désigna de son doigt une scène qui s'était déroulée quelques années auparavant – j'avais alors vingt-quatre ans – où l'on me voyait discuter avec une amie: une très belle demoiselle dont j'étais éperdument amoureux, mais qui n'avait jamais connu mes sentiments. "Elle était vraiment jolie hein?"
Je lui répondis dans un murmure: "oui, vraiment…
_Elle t'aimait plus que tout au monde; elle a passé des semaines à attendre que tu daignes lui montrer de l'intérêt…" je tournai les yeux vers lui. Incompréhension, colère et frayeur se bousculaient sur mon visage. "Qu'est-ce que vous en savez?"
Il me sourit sans me répondre, comme si cette réponse allait de soi, puis il poursuivit toujours en regardant la scène: "si tu avais pris le risque de te dévoiler, vous seriez aujourd'hui sur le point de vous marier". Je me tus; mais en moi, l'espoir que j'avais enterré à cette époque ressurgit pour me fusiller la raison, comme je l'avais moi-même déjà détruit sous l'emprise du doute.
Mon regard s'échappa alors de ce passé que j'avais assassiné, et se posa naturellement sur un temps de dépression, datant de l'année précédente, où l'on pouvait me voir étendu sur mon lit, en silence. Sachant parfaitement ce que je voyais, l'homme reprit la parole: "tu t'amusais bien à l'époque?" – comment pouvait-il être aussi injuste? "Passer des journées sur son lit, c'est une bonne méthode pour reprendre sa vie en main?". Plus je l'écoutais, plus je sentais la rage m'envahir. Il continua: " si tu avais pris l'initiative de sortir un peu de ton esprit, tu n'en serais sans doute pas là aujourd'hui."
Prenant conscience de mon mutisme, il s'écarta légèrement pour me montrer une nouvelle scène: ma naissance, et la joie de ma mère.
C'était trop: voir ma mère tellement heureuse de porter cette petite vie naissante dans ses bras… cette petite vie…
C'était beaucoup trop pour moi, je me retournai dans un hurlement enragé, et de nouveau sur le pont, je me mis à courir vers l'infini, tout en sachant que cette course serait inutile. Sans cesser de hurler… mais rapidement, je sentis à nouveau cette haine qui m'avait auparavant tellement oppressé. Et je compris enfin: cette haine ne provenait pas de cet homme, mais c'était bien toute celle transmise par ces images de mon passé, cette folie hargneuse qui avait fait ma vie.
Encore une fois, je tombai sur mes genoux, et j'attrapai mon crâne de mes deux mains, pinçant mes cheveux avec force et fermant les yeux pour canaliser ces émotions dévastatrices. Je me secouai dans tous les sens, les paupières toujours baissées, tandis qu'une colère furieuse s'emparait de moi. J'hurlai à en offenser le vide, j'hurlai à l'inconnu,… j'hurlais en vain. Et lui était toujours là:
"Tu vois: encore une fois tu fuis… tu as toujours fui, mais que croyais-tu? Que fuir ta vie allait t'amener dans un paradis blanc? "
Je lui répondis dans un râle: "vous ne connaissez rien de ma vie!! Vous ne savez rien de moi?"
Toujours sur les genoux, je me tenais à présent les bras tendus à la perpendiculaire du pont et les mains posées sur le sol.
L'homme rit: "ho mais si!! Je sais beaucoup de choses, tu n'as peut-être pas remarqué mais de ce côté, il y a plein d'images pour me renseigner sur toi!! D'ailleurs, je me demande pourquoi tu as été si long à te retourner quand tu es arrivé ici, ça aurait été plus simple de voir tout ça dès le début… enfin, j'imagine que tu as encore été guidé par ton besoin de fuir ta vie, n'est-ce pas? Toujours en train de courir en espérant que le destin viendra à ta rencontre, sans oser une seule fois prendre l'initiative du bonheur. Tu t'es tellement persuadé de tes échecs que tu n'as jamais réussi à voir tes chances… "
Je me concentrais sur ses mots tout en essayant de calmer mon esprit. Je le sentis s'approcher de moi et le vis bientôt passer dans mon champs de vision, quittant les images de mon passé pour rentrer vraiment dans le paysage du pont. En fait, j'ignorai absolument ce que lui voyait.
Il s'accroupit à mes côtés. Il gardait son sourire, mais pendant un instant, je crus voir de la peine dans ses yeux
Nous nous regardâmes ainsi quelques secondes, et j'échangeai mon incompréhension avec cette étrange pâleur qui semblait être compatissante.
"Pourquoi t'es-tu suicidé?"
Question brève mais assassine.
"Pourquoi je me suis suicidé?", répétais-je, sans me redresser, "pourquoi?? Mais avez-vous vécu ma vie pour poser cette question? Savez vous seulement ce qu'est le suicide?". Soudain, son sourire s'élargit mais dans une mélancolie touchante. Comme si ma question avait posé sur son visage toute la tristesse du monde.
"Bien sur que je sais ce qu'est le suicide", me dit-il, "pourquoi crois-tu que c'est moi que l'on a envoyé ici pour t'accueillir?"
Puis il se remit debout, et me tourna le dos pour observer le pont sans fin.
"Je me souviens quand je me suis retrouvé sur ce pont… je n'étais pas très différent de toi…Il n'y a pas eu un jour depuis sans que je ne le regrette…"
Je ne parvenais pas à le comprendre. Non… mais à ce moment, j'aurais tellement voulu…
"Alors, qu'est-ce qu'il y a finalement au bout de ce pont?? Vous avez bien fini par le traverser?
_sais-tu au moins où tu veux aller? tu sais, il y a des ponts que l'on ne franchit pas sans savoir ce que l'on veut trouver au bout…
_mais, mais,… je me suis suicidé!!! Je me fous bien de savoir où je veux aller, je veux la paix!! La paix, vous comprenez??!!"
Il souriait encore, en me toisant avec de plus en plus d'intérêt. "La paix? Tu croyais peut-être que te suicider allait te permettre de trouver la paix comme ça? Juste en te mettant une balle? Il va te falloir découvrir ce que tu attends vraiment et ce que signifie la paix pour toi, sinon…
_Sinon quoi??"
Il me répondit autant pour lui que pour moi, comme submergé par une vague de souvenirs douloureux: "sinon, tu n'arriveras jamais au bout du pont." Je ne fus même pas surpris.
Il n'était pas très différent de moi finalement; nous étions deux écorchés finis, perdus dans leurs propres sorts, ayant fui le destin pour tomber dans le vide absolu de ce lieu. Sauf que lui avait une longueur d'avance, et s'en était sorti apparemment. "Comment voudrais-tu découvrir le bout du pont si tu ne sais pas où tu veux aller?
_mais…mais… je ne sais pas… comment pourrais-je découvrir ce que j'attends, il n'y a rien ici…
_il n'y a rien?? Je te rappelle que derrière toi, tu as toute ta vie pour comprendre qui tu étais, qui tu es, et ce dont tu as besoin…"
Silence. Il se perdit dans des pensées troubles, son sourire disparaissait peu à peu.
"Et crois moi, tu vas avoir le temps de revisiter cette vie, et tu vas regretter… tu vas tellement regretter… mais c'est bien le prix à payer pour t'être suicidé. Il va te falloir apprendre à être en accord avec ta vie et à accepter ce qu'elle a été, sinon tu ne découvriras jamais où devra te mener le bout du pont. C'est bien normal non? Il faut commencer par comprendre d'où l'on vient pour savoir où l'on doit aller…"
Il resta ainsi pendant quelques secondes, égaré dans sa mémoire, sans doute vers ce temps tourmenté où sa place avait été la mienne.
"Je dois partir maintenant". Cette voix que j'avais tant crainte était devenu un murmure presque inaudible.
L'homme paraissait très triste désormais. Il se retourna doucement, et s'écarta, en me faisant un petit signe de la main. "Bon courage", me dit-il.
Je ne le retins pas, pas une seconde, et, tandis que je voyais sa silhouette disparaître dans le vide fantomatique, je réalisai que je devrais me confronter à toutes ces images de ma vie si je voulais franchir le pont.
A nouveau, je ne bougeai plus. Là, seul dans cet espace immobile. Mort. Usé.
Je n'osai pas me retourner, par crainte de la culpabilité que me renverraient alors ces différents aspects de ma personne passée.
Le pont était là, immobile, figé, voire irréel, mais les seules réponses qui me permettraient de le franchir se trouvaient dans mon dos. Alors, après de longues minutes d'agonie morale, je me retournai.

Aujourd'hui encore, je suis sur le pont. Je n'ai plus jamais bougé depuis, plus jamais couru. Je n'ai jamais senti de fatigue non plus, je suis juste resté là, debout en plein cœur de ce grand infini d'images et de souvenirs. L'homme n'est plus jamais revenu non plus, je ne pense pas que ce lieu lui soit agréable de toutes façons.
Cela doit faire des mois, des années, peut-être même des décennies – je n'ai plus conscience du temps – que j'observe ma vie passée en essayant de lui trouver un sens, en cherchant à découvrir qui je suis. C'est bien la seule chose à faire si je veux savoir où je vais.
Car j'ai compris bien des choses en ce monde intermédiaire.
Déjà, si nous ne nous battons pas pour améliorer nos vies, nos morts n'auront jamais de belles couleurs. Je sais aussi désormais que le seul moyen de trouver un lieu où je désire aller, c'est de comprendre réellement ce que je voulais profondément faire de ma vie. Il me faut alors réfléchir sur moi, apprendre à me réapprendre. Il me faut faire maintenant tout ce que j'aurais du faire avant de me décider à mourir. Alors seulement je saurai où je vais.
C'est ainsi.
Les ponts sont des passages, mais lorsque nous nous engageons sur les ponts de la destinée, nous devons précisément savoir qui nous sommes, connaître ce que nous quittons, pour pouvoir nous donner une destination. Sinon, nous n'en trouverons jamais le bout.
Alors dans ces conditions, le pont est éternel.


Fin
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Gaetan Pelletier
Langue pendue



Nombre de messages : 74
Localisation : Québec, Canada
Date d'inscription : 08/10/2005

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MessageSujet: Hier....   Les ponts sont des passages (2/2) EmptySam 1 Mar - 11:00

Tu écris bien...
20 ans hier?
C'est le 29 aujourd'hui.
Joyeux anniversaire en retard!
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