Délires et propos sensés
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 quintes et raclements (2 fin)

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AuteurMessage
calouet
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Nombre de messages : 18
Date d'inscription : 11/04/2005

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MessageSujet: quintes et raclements (2 fin)   quintes et raclements (2 fin) EmptyMer 4 Mai - 8:41

Et enfin, la star du TER, la Némésis du voyageur dilettante, j'ai nommé l’Homme qui tousse ! Comme son nom l’indique, c’est un pur phénomène de foire, les restes lamentables d’un type sans doute normal jadis, que le temps et la maladie ont transformé en un monstre goitreux et crachotant. Ce type est un genre d’homme-orchestre, une réaction en chaîne et en costard à lui tout seul, qui ne s’accorde pas la moindre seconde de répit. Ronflements caverneux, pets convulsifs - et vice versa, renvois mal contrôlés, raclements de gorge gluants - et vice versa, quintes de toux damocaméliesques, miasmes éruptifs, curages de pif carnassiers, sifflements asthmatiques, crachats corrosifs… etc. Bref, l’Homme qui tousse n’a aucune pitié pour ses voisins, comme si la certitude de crever prochainement des affres d’une longue maladie – un tel tsunami symptomatique ne saurait être parfaitement anodin – l’autorisait à se comporter comme un porc… Comme si le confort des trains régionaux, mille fois vanté par la SNCF était à ce point remarquable que le simple de fait de s’y asseoir donnait le privilège à l’Homme qui tousse de faire comme s’il était dans ses propres chiottes…

Régulièrement, je vois des victimes se faire avoir, car l’Homme qui tousse est un redoutable chasseur : derrière sa peau basanée à outrance par les traitements de cheval, palpite l’âme d’un vieux lion dont les crocs certes usés savent encore se planter dans la croupe d’une gazelle sans défense… Et le salaud ne s’y trompe guère, puisque ce sont très fréquemment de jolies jeunes filles qui assistent aux premières loges à ses concerts de glaires. Il arrive en général au dernier moment, faisant irruption dans la cage alors que de nombreux voyageurs sont déjà installés. Facile de le reconnaître, même sans le voir, tant sa respiration frénétique et sifflante tend à faire croire qu’il vient non seulement de se faire le rallye des sables mais qu’en plus il en est revenu à pied en fumant des Gauloises sans filtre pour se donner du courage… A chaque fois, je ne peux m’empêcher de jeter un œil à la donzelle, dès lors que le concert commence. Dans le contexte étouffant imposé par le Maestro, les filles se ressemblent toutes : livides, les yeux faussement détachés, signe de la plus haute concentration, les mâchoires serrées par le dégoût. C’est dur pour elles, et même si l’Homme qui tousse est certainement le plus à plaindre dans l’affaire, j’ai toujours une petite étincelle de compassion en direction de ces jeunes femmes innocentes jetées en pâture à la bête, comme d'innocentes pucelles offertes à un dragon boulimique…

Avec le temps, et à ma grande surprise, j’ai remarqué que l’Homme qui tousse jouissait d’une aura toute particulière, qui ne pouvait raisonnablement pas être attribuée à ses prouesses gutturales... Ce type, quel que soit le genre d’épave qu’il est devenu, est quelqu’un de connu et d’apprécié. Au moins pour le souvenir. Régulièrement, des voyageurs le saluent, voire même s’arrêtent à sa hauteur pour discuter. En général, le goitreux leur répond avec un vivacité rare, excepté les quelques fois ou l’encombrement de son pharynx empêche toute discussion… L’autre jour, un jeune homme s’est même assis à côté de lui ; un étudiant peut-être, ou bien un tout jeune salarié. J’étais assis près de là, involontaire embuscade qui m’a permis d’en déduire que l’Homme qui tousse était sans doute un formateur. Il s’est en effet lancé dans une série de tirades fort impressionnantes pour le profane que je suis, d’une voix suffisamment haute pour que l’ensemble du wagon soit au courant de ses préoccupations du moment... Derrière la gangue de mucus dans laquelle à n’en pas douter ses cordes vocales baignaient, on devinait nettement les restes faiblissants d’un organe de tribun, ce qui m’a un peu plus encore conforté dans l’idée que ce gars avait sans doute eu à une époque pignon sur rue à Orléans… Avec un savant mélange de persuasion et de vivacité d’esprit, il expliquait au jeune gars les tenants et aboutissants d’un texte de loi pour le moins obscur, dont la révision promettait visiblement d’être musclée à l’Assemblée Nationale… De dos, rien qu’à l’entendre réciter les articles, je le voyais persuader l’autre de la fiabilité de ses pronostics, ses lèvres bougeant à peine sous le passage des mots qu’il prononçait. Chacune de ses paroles semblait résonner très fort dans la tête de son interlocuteur, tant ce dernier semblait pendu aux lèvres violettes du ventriloque… Jusqu’à ce qu’une imparable quinte n’assaille à nouveau le stentor, le condamnant brutalement non pas au silence – ce qui eut été un moindre mal – mais à une discussion entrecoupée d’une multitude de secousses glaireuses.

L’Homme qui tousse est une énigme pour moi. Et ça restera sans doute ainsi, désormais. Je ne l’ai plus revu depuis un bon mois. Il a sûrement cassé sa pipe, ou est sur le point de le faire, emportant avec lui ses mystères opaques, son charisme étonnant, et ses écœurantes expectorations… Le wagon est étrangement calme sans lui, comme un stade sans sportifs, comme un clafoutis sans cerises… C’est assez angoissant parfois, le silence relatif que nous impose son absence…

Hier, une fois n’est pas coutume, je me suis assis à côté de la cruche. La mal finie. Volontairement. On a un peu parlé… Elle est gentille, mais vraiment conne. Mais elle est gentille.
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