Délires et propos sensés
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 Pilou (2/2)

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calouet
Rang: Administrateur



Nombre de messages : 18
Date d'inscription : 11/04/2005

Pilou (2/2) Empty
MessageSujet: Pilou (2/2)   Pilou (2/2) EmptyDim 6 Nov - 2:38

Moi tu me connais, même si j’ai tout pour être rassuré, je trouve le moyen de biler. Un vieux restant d’avant, peut-être… Déjà que j’étais sûrement malade, mais là c’était presque scientifiquement prouvé, il aurait plus manqué que mes dents se déchaussent vraiment ! Alors du coup, j’avais beau m’esquinter la goulue sur les chicots, j’avais beau me rendre compte que rien ne semblait manquer, ben j’avais besoin de le voir pour en être complètement convaincu. A la longue, on aurait quand même dit que ça bougeait un peu sur la gauche, vers le fond… Je me suis pointé aux galeries Lafayette pour l’ouverture. T’imagines les faces de crevards qui m’ont accueilli !… Y avait pas trop de monde en plus à attendre l’ouverture : juste deux tignasses violettes et moi. Pendant que les vioques en étaient encore à se faire des politesses tremblantes pour prendre l’escalator, j’ai filé aux fringues, un vrai palais des glaces. Enfin j’suis con, tu connais. Et là, ben j’ai tout juste eu le temps de voir que mes dents étaient pourries, mais bien présentes, avant qu’un balèze avec un pull trop petit me choppe par le col et me foute dehors… Un bourrin zélé, du genre qui pullule dans les centres commerciaux ; mais là encore je t’apprends rien, mon pauvre vieux… J’ai même pas résisté, je l’ai laissé me traiter de pauvre déchet sans même gueuler : je m’en tapais de ses insultes, j’avais eu ce que je voulais… La maladie me laissait un chouia de répit.

Alors je suis allé me piquer la ruche, au soleil sur les quais, comme on faisait avec les potes, ou alors juste tous les deux. Là, j’ai bien vu les autres mais j’y suis pas resté. Je leur ai payé une boutanche et j’me suis cassé. Parce que tu vois, t’as beau ne plus être là mon Pilou, ben j’avais acheté à boire pour deux. J’ai jamais eu trop de mémoire…

Bien sonné, je suis rentré à pas d’heure en ville ; la montre ne compte vraiment que quand on joue contre elle, et moi ça fait belle lurette que j’ai balancé la mienne à la Seine. La picole m’aura au moins affranchi de cette dépendance-là… Pas comme tous ces couillons qui me regardaient rentrer vers ce chez moi qui n’existe pas, ou alors qui est partout, selon l’œil qu’on a… Ils étaient à la fois inquiets et agressifs. Comme des clébards qu’auraient pas vu une bête sauvage depuis un bail. J’aime pas les chiens, ni les bouts de bois d’ailleurs. Pour ça qu’ils vont bien ensemble, que l’un rapporte l’autre quand on lui lance… Ils avaient peur de moi ces cons, tu te rends compte ?! Mais tu me connais, j’en ai pas fait trop cas, pas plus qu’ils ne le méritaient, et j’ai continué tranquille à user mes semelles jusqu’ici… Ca m’a rappelé le bon temps où on rigolait, qu’on faisait les pitres ou qu’on chantait dans la rue ; là encore, on n’était pas bien perçus : soit ils croyaient qu’on était bourrés, et se foutaient de nous en croyant être suffisamment discrets – c’est à dire très peu vu qu’on était censés être torchés – soit ils nous balançaient des thunes parce qu’ils avaient pitié de nous. Mais nous on s’en tapait de leur avis, de leur fric ! Comme on s’en tapait de leurs cellules d’urgence, du café crado dans des gobelets, de leur bienveillance et de leurs Restos du Cœur ! On n’avait pas besoin de tout ça pour survivre dans la merde et pour être heureux quand même… Le bonheur, quand on est des cloches, c’est tout ce qui reste de la vie. A croire qu’ils sont jaloux de ça, les gens. Les vrais débris de la société, ceux qui ne voient plus clair et qui se font chier c’est eux, pas nous. C’est toi qui me disait ça souvent, mais je comprends mieux aujourd’hui… Eux c’est les bouts de bois, qui filent vers la mer sans rien pouvoir y faire, et nous on est les cailloux, au fond de l’eau, qui passent le temps sans le compter, jusqu’à ce que leurs dents tombent, ou qu’ils en rêvent… T’en avais rêvé toi Pilou, de tes dents qui se barraient ?…

Adossé au muret, vautré sur les marches qui mènent à l’esplanade, je regarde la vie couler. Je regarde les vies couler, surtout. Y a des oiseaux qui se rassemblent pour l’hiver au dessus de ma tête. Sont pas cons les oiseaux, enfin disons qu’ils ont le sens des priorités… Je me rappelle quand tu me disais que l’automne est la saison la plus jolie en ville, parce que les lumières s’épanouissent comme des colchiques, juste avant la petite mort hivernale… Tu causais bien parfois, même bourré. Surtout bourré. J’ai toujours été impressionné par ça, mais tu le sais déjà. Je t’ai toujours dit ce que je pensais à toi, je t’ai jamais caché comme tu comptais pour moi, et j’suis fier de ça tu sais ! Tu vois, à sentir le mur se réchauffer dans mon dos, ça me fait comme si t’étais tout contre moi à me raconter les oiseaux qui partent loin, les pierres des marches qui résistent aux générations de blasés, les âmes usées qui se rencontrent parfois par chance, au moment précis où on croit qu’on n’aura plus jamais de bol, justement… Je repense à tout ça, et je sens mes dents qui se tirent encore un peu plus. Tu m’avais sauvé la vie, c’est bien normal que je crève à mon tour… J’ai mal au casque, je suis pas bien. Je vais y passer Pilou, je le sens. Je ne verrai peut-être pas demain… Bon débarras. Je sais pas si on se retrouve après, mais je te chercherai.

Je m’endors un peu… Un abruti me lance une pièce rouge. Imbécile, et radin en plus. Je laisse mes paupières se poser, comme de petites ailes fatiguées, qu’auraient trop battu à force de vouloir se tirer en Afrique, au soleil… Dire que t’es mort, j’en reviens pas…
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Pilou (2/2)
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